TASCHER DE LA PAGERIE : JOSéPHINE, GRAND-MèRE DE L'EUROPE
COURONNéE
L'histoire (ou la légende ?) raconte
qu'un jour, dans la propriété où était née
et où grandissait Marie-Josèphe-Rose de Tascher
de La Pagerie, une Martiniquaise lui avait prédit en regardant
les lignes de sa main : "Tu seras plus que reine !"
Pourtant, les débuts avaient été plus que
difficiles : arrivée en France en 1779 avec son père, elle y avait épousé
la même année, alors qu'elle n'avait que seize ans, Alexandre, vicomte
de Beauharnais, capitaine de dragons, qui deviendra plus tard général.
Cette union fut traversée par quelques orages, il faut le dire, l'histoire
attribue la responsabilité à Beauharnais.
Tirée de la misère
par Mme Tallien
Sous la Terreur, tenu comme suspect en qualité de noble
et d'ancien général de l'armée du Rhin, il fut arrêté et décapité malgré
l'intervention de sa femme. Joséphine ayant été à son tour incarcérée
aux Carmes aurait subi le même sort, si le 9 Thermidor n'était venu la
sauver. Elle connut en prison Mme de Fontenay (Teresia de Cabarus) qui
devint Mme Tallien et, plus tard, princesse de Chimay. C'est par elle
que Joséphine fut tirée de la misère où la Révolution l'avait plongée.
Mère de deux enfants, Eugène et Hortense,
Joséphine épouse en 1796 le général Bonaparte. Devenu l'empereur Napoléon,
celui-ci veut évidemment associer Joséphine à son triomphe : le couronnement.
Mais voici que tous les Bonaparte se liguent pour empêcher le couronnement
de Joséphine.
Leur haine n'a jamais désarmé contre l'intruse,
la créole légère maintenant d'ailleurs très assagie, qui tient fort bien
son rang, mais qui n'a pu donner de fils à l'empereur. Ils parlent et
font parler ouvertement de divorce.
Trop vives, ces attaques manquent le but.
Napoléon refuse de renvoyer sa femme : "Cela passe ma
force, dit-il à Roederer. J'ai un coeur d'homme ; je
n'ai pas été enfanté par une tigresse !"
Joséphine plus que reine : impératrice
!
Joséphine aura donc part au sacre. Elle
sera impératrice. Mais elle va obtenir davantage : elle s'assure, par
un tour adroit, le mariage religieux que Napoléon jusqu'alors a évité
et qui les attachera, croit-elle, par un indestructible lien.
Quand tout est décidé, en secret, elle confie
au pape que son mariage n'a pas encore reçu la consécration de l'Eglise.
Pie VII aussitôt se récrie : le couple impérial vit en état de péché
mortel. Il déclare qu'il n'officiera pas à Notre-Dame si l'union religieuse
n'a pas été célébrée auparavant. Sa conscience de prêtre ici ne fléchira
pas.
Napoléon le comprend. Il recule devant le
scandale qui entraînerait la remise ou l'abandon du sacre. Muni des dispenses
nécessaires, le cardinal Fesch, sans témoins, donne aux deux époux la
tardive bénédiction. Et le lendemain, Joséphine peut partir aux côtés
de Napoléon dont elle est sûre maintenant de partager l'avenir.
Joséphine n'a pas donné d'héritier à Napoléon
Tout l'avenir ? Savoir ? Pourtant tout va
bien dans le ménage impérial : depuis le Consultat, la délicieuse créole
s'est assagie ; son gaspillage, ses dettes énormes, sa jalousie ont parfois
amassée entre eux des nuages ; mais ils se sont presque aussitôt dissipés.
Gracieuse, élégante, s'attachant à lui complaire
en tout, faisant comme il le dit lui-même "le charme de son intérieur",
recevant à ravir, l'impératrice, après treize ans de mariage, garde la
tendresse et l'amitié de Napoléon.
Pourtant, à son retour d'Autriche en 1809,
il s'est résolu à un acte important : la rupture de son mariage avec
Joséphine. Il souffre d'écarter de lui celle qu'il a passionnément aimée.
Cependant, un intérêt politique évident l'y oblige. Il lui faut des héritiers
directs.
Fouché n'a pas cessé de pousser au divorce.
Dans son cynisme, il est allé jusqu'à inviter Joséphine à le demander
elle-même. Napléon l'a plusieurs fois réprimandé. Mais il ne peut s'empêcher
de penser que Fouché a raison, que tant qu'il n'a pas de fils, "la
France n'est qu'en viager sur la tête" et que, si populaire
que soit Joséphine, il remplira par un second mariage le voeu profond
du pays.
C'est l'annonce de la promesse de Marie
Walewska qui le décide. Pour commencer, il fait séparer par un mur son
appartement de celui de l'impératrice : Fouché s'empresse à faire courir
la nouvelle dans Paris.
Le divorce s'impose
Les scènes douloureuses vont se succéder entre les deux
époux, à Fontainebleau puis aux Tuileries pendant tout le mois de novembre
: "La politique n'a pas de coeur, dit Naploléon. Elle
n'a que de la tête !"
Après avoir résisté, Joséphine se résigne
; Napoléon dore sa retraite : elle garde le titre d'impératrice, reçoit
des dotations, des bijoux, des châteaux. Les familles sont assemblées,
l'acte est signé par les deux époux et consacré le lendemain par un sénatus-consulte
du Sénat.
Joséphine se retire à Malmaison et Napoléon
va cacher son chagrin très sincère et très vif à Trianon.
Même après 1809, après son divorce, l'empereur
subira encore l'ascendant de son charme et de sa bonté.
Joséphine passa le reste de sa vie à faire
du bien autour d'elle. Si, au début de l'Empire, elle avait réussi à
faire rayer de la liste des émigrés un grand nombre de royalistes, elle
eut aussi le courage de s'employer, en vain à sauver le duc d'Enghien.
Lorsqu'elle deviendra impératrice, Joséphine, suivant une expression,
s'appliquera à être "constamment la bienfaitrice
de sa famille".
Les Tascher : une famille qui remonte aux croisades
Car Joséphine avait aussi une famille.
Le nom de Tascher fait son apparition dans
les premiers siècles du Moyen-Age. Il est déjà connu sous le roi Louis
le Jeune, comme l'atteste une charte de 1167. Au cours des croisades,
on relève les noms des chevaliers croisés Arnault et Regnault de Tascher.
Nous savons de Regnault qu'en 1190, il est aux côtés de Philippe-Auguste
pendant la troisième croisade. Un peu plus tard, on identifie Etienne
de Tascher en 1302, Ferry en 1309, Jeanne en 1340, un autre Regnault
seigneur de Saint-Georges en 1350, Jean en 1369 et, pour finir, Raoul
en 1391. Ils sont tous établis en France.
Mais le premier contact avec une filiation
pure ne s'établit qu'au commencement du XVème siècle, exactement en 1400-1405.
Les Tascher sont, à cette époque, fixés dans cette partie du Perche qui
se nome le Thimerais, dont Dreux est le centre et où ils jouissent, dès
cette époque, d'une notoriété certaine.
Du Thimerais, les Tascher essaiment et se
fractionnent. La branche aînée, qui deviendra plus tard la branche de
La Pagerie, s'installe d'abord dans le Blaisois, pour se fixer ensuite
à la Martinique, au commencement du XVIIIème siècle, et revenir finalement
en France avec Joséphine.
La branche cadette se subdivise, elle aussi.
Un premier rameau, après avoir pendant plusieurs générations, séjourné
en Normandie, descend en Bordelais au milieu du XVIIème siècle
: c'est la branche des Tascher de Guyenne.
Un autre rameau de cette branche cadette
reste fidèle au pays d'origine : ce sont les Tascher du Perche, qui résident
dans l'Orne jusqu'au milieu du XIXème siècle, époque
du mariage du dernier représentant de cette famille avec Joséphine de
Montalivet, fille du ministre.
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Comment Joséphine apprit le divorce
Quand le divorce fut décidé, l'empereur,
qui lui garda toute sa vie une grande et profonde affection, se décida
à lui annoncer la
triste nouvelle. Il choisit de le faire au cours du dîner, en tête à
tête avec elle. En apprenant la chose, Joséphine s'évanouit. "Aussi
effrayé qu'ému de l'effet qu'il venait de produire, dit
M. d'Haussonville,
Napoléon
entrouvit la porte de son cabinet et appela à son aide le chambellan
de service, M. de Bausset. L'évanouissement durant toujours, il demanda
au chabelan si, pour éviter tout esclandre, il se sentait la force de
porter l'impératrice jusque dans ses appartements, qui communiquaient
avec les siens par un escalier dérobé. M. de Bausset prit l'impératrice
dans ses bras et l'empereur, marchant à reculons, lui soutint soigneusement
les pieds. Ils descendirent ainsi l'escalier..." Mais les jambes
de M. de Bausset s'étant embarrassées dans son épée tandis qu'il descendait
cet escalier étroit, comme il se raidissait pour ne pas laisser tomber
son précieux fardeau, sa surprise fut assez grande d'entendre Joséphine
lui dire tout bas en ouvrant un oeil : "Prenez garde, monsieur,
vous me serrez trop fort."
Armoiries des ducs de Tascher
Les
armoiries des ducs de Tascher de La Pagerie sous le Second Empire
: parti : au I, de Tascher avec le franc-quartier des comtes de l'empire
; au II, Le Roux de la Chapelle ; au chef des ducs d'empire. Couronne
de duc.
Devise
: Honoris fidelis
Une curieuse
lettre de Napoléon à Joséphine
Le divorce fut
prononcé le 16 décembre 1809, et Joséphine se retira à la Malmaison.
Napoléon lui fit de magnifiques dotations, lui constitua une rente
de 2 millions de francs et entretint même avec elle une correspondance
dont Marie-Louise se montra plus d'une fois jalouse. Une lettre excessivement
intime et entièrement de la main de Napoléon jette un jour curieux
sur la vie de l'ex-impératrice à la Malmaison. Elle provenait de la
collection Félix Drouin et en voici le passage le plus curieux : "...Je
te défends de voir Mme X... (le nom est en toute lettres), sous
quelque prétexte que ce soit : je n'admettrai aucune excuse. Si tu
tiens à mon estime, et si tu veux me plaire, ne transgresse jamais
le présent ordre. Elle doit venir dans tes appartements, y rester de
nuit : défends à tes portiers de la laisser entrer. Un misérable (c'était
un prince) l'a épousée avec huit bâtards ! Je la méprise elle-même
plus qu'avant : elle était une fille aimable, elle est devenue une
femme d'horreur et infâme. Je serai à Malmaison bientôt. Je t'en préviens
pour qu'il n'y ait point d'amoureux la nuit. Je serais fâché de les
déranger."
La grand-mère
de l'Europe
Joséphine
peut partager avec la reine Victoria et le roi Christian IX de Danemark
la gloire d'avoir dans sa descendance presque toutes les familles royales
d'Europe. Si sa fille, la reine Hortense, ne fut que la mère
de Napoléon
III, son fils, le prince Eugène, marié à la princesse
Joséphine de
Leuchtenberg, épousa le roi Oscar Ier , roi de Suède
et de Norvège, fils de Bernadotte. Elle fut la mère du roi Oscar
II et Charles XV. Oscar II fut le père de Gustave VI Adolphe de Suède.
Ce dernier, père de la reine Ingrid de Danemark, épouse du roi Frédéric
IX, lequel étant le fils du roi Frédéric VIII et de Louise de Suède,
fille de Christian XV, le roi et la reine de Danemark sont cousins
et descendent tous deux de Joséphine. Louise de Suède et Frédéric VIII
avaient eu un autre fils qui devint le roi Haakon VII de Norvège, grand-père
du prince Harald de Norvège, et père du roi Olaf. Quand à la reine
Astrid de Belgique, mère du roi Baudouin et grand-mère du prince héritier
de Luxembourg actuel, elle était la petite-fille du roi Oscar II de
Suède et l'arrière-petite-fille de Charles XV du côté marternels...
Portrait par Gérard
Ce
portrait de l'impératrice Joséphine, par Gérard,
est peu connu. La petite Créole est à l'apogée
de la gloire. Joséphine de Tascher de
La Pagerie (1763-1814) était issue d'une ancienne famille noble
originaire de Châteauneuf-en-Thimerais, au Perche, connue depuis
le XV° siècle.
Elle était fille de Joseph-Gaspard et de Rose-Claire des Vergers
de Sannois, et veuve du général vicomte Alexandre de
Beauharnais. Elle
épousa Bonaparte en 1796.
[Voir l'album photo]
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Les Tascher s'installent à la
Martinique
C'est Gaspard-Joseph de Tascher de La Pagerie
qui passe à la Martinique. Né en 1705, il y épouse
Marie-Françoise Boureau de la Chevalerie. Il meurt en 1767, en
laissant cinq enfants : deux garçons et trois filles.
Des deux garçons, l'aîné,
Joseph-Gaspard (1735-1791), est chevalier lorsque nous le trouvons, en
1792, au service de Madame la Dauphine, princesse de Saxe, en qualité de
page. Il était titulaire de l'ordre de Saint-Louis et parvint
au grade de capitaine dans les dragons. Puis il se fixe aussi à la
Martinique, où il épouse, en 1761, Rose-Claire des Vergers
de Sannois, qui lui donnera trois filles : Marie-Josèphe Rose
(1763-1814), qui deviendra l'impératrice Joséphine, Catherine-Désirée
et Marie-Françoise, qui moururent jeunes toutes deux.
Le second, Robert-Marguerite, est appelé d'abord
le baron de Tascher. On le trouve lui aussi, page de Madame la Dauphine
en 1754. Il devient lieutenant des vaisseaux du roi et messieurs les
maréchaux de France, puis commandant les ports et rades de la
Martinique.
Ce fut un rude soldat. Pendant la guerre
de 1756 (il n'avait que seize ans), il était à bord de
la frégate "La Bellone", sous les ordres du marquis
de Beauharnais, lorsque les Anglais attaquèrent. Blessé,
il fut laissé trois jours pour mort dans la cale. Il resta sourd
de l'oreille gauche.
Un autre épisode de sa vie se situe
alors qu'il était capitaine du port de Fort-Royal. Il fit caréner
ou mettre en quille plus de quarante bâtiments. Son brevet de directeur
des ports et arsenaux de la Martinique fut demandé par le comte
de Grasse et le comte de Bouillé, alors gouverneur de la Martinique.
Au moment de la Révolution, il était
maire de Fort-Royal. Il dut partir un jour pour Fort-Bourbon, où l'agitation
régnait : on l'y garda 45 jours comme otage, et il fut libéré parce
qu'il sut retourner l'opinion populaire et reprendre son ascendant sur
les révolutionnaires. Il s'était marié en 1770 au
Vauclin, à la Martinique, avec Jeanne le Roux de Chapelle, qui
lui donna douze enfants.
Leurs destinées furent diverses,
mais il y eut de grandes figures parmi eux. L'aîné de ceux
qui s'illustrèrent est Charles, l'ancêtre des Tascher de
La Pagerie actuels. Le second fut Henri (1785-1816) qui épousa
en 1811, Marcelle Clary, soeur du général Clary et nièce
de la reine Désirée de Suède. Henri de Tascher fut
colonel, puis maréchal de camp. Il fut créé comte
de l'Empire par lettres patentes de 1810.
La princesse de la Leyen
Louis de Tascher, le septième enfant
des douze (1787-1863), naquit à la Martinique, comme tous ses
frères et soeurs.
Militaire, il fut sous-lieutenant ; en 1806,
officier d'ordonnance de Napoléon et termina sa carrière
comme général de division. Aide de camp du prince Eugène,
vice-roi d'Italie, il se trouve en Bavière en 1810, où il épouse
Amélie, princesse de la Leyen, petite-nièce du prince-primat
de Dalberg, grand-duc de Francfort. a la Restauration, le duc de Berry
lui fait offrir un emploi à la cour, qu'il refuse aussitôt.
Il ne rentre en France qu'en 1835, pour
y suivre, contre la famille de Dalberg, un procès en restitution
de titre de duc par dévolution de son oncle maternel, Emmerich-Josef,
duc de Dalberg et de l'Empire, valable en vertu d'un décret impérial
en date du 8 juillet 1810.
Cependant, son fils sera le premier à porter
le titre. Il eut, en effet, six enfants, mais un seul fils : Charles
de Tascher de La Pagerie (1811-1869).
C'est en sa faveur que fut relevé,
par décret impérial du 2 mars 1859, le titre de duc héréditaire
conféré à Emmerch-Joseph de Dalberg, sous la dénomination
de duc de Tascher de La Pagerie.
Charles fut député du Gard,
sénateur, grand-maître de la maison de l'impératrice
Eugénie. Il avait épousé la fille du chambellan
du roi de Bavière : la baronne Caroline Perglas et eurent un fils,
Robert, duc de Tascher de La Pagerie.
Charles (1782-1849), l'aîné des
douze enfants de Robert-Marguerite et de Jeanne Le Roux de Chapelle,
s'allia à Céline Soudon de Rivecourt et laissa dix enfants
: cinq filles et cinq garçons, dont Emile (1822-1892), sorti de
Saint-Cyr, maréchal des logis de l'empereur, qui fut le premier à s'installer
dans l'Aisne, près de Saint-Quentin.
C'est lui qui annonça au Sénat
la naissance du prince impérial. Son fils, Napoléon (1856-1935),
filleul de l'empereur et de l'impératrice Eugénie, fit
sa communion avec le prince impérial dans la chapelle du palais
des Tuileries. Il s'allia avec Catherine Amelot de Chaillou, ils eurent
deux enfants, Robert (1882-1959) et Charles, mort prématurément. L'aîné,
Robert (1882-1959), épousa Mlle
Arbel. Ce ménage eut quatre enfants, dont l'aîné,
Renaud (1914-1993), et qui fut le dernier duc de Tascher de La Pagerie.
C'est aussi lui, qui durant une grande partie
de sa vie a accompli un fabuleux travail : il a lu toutes les archives
familiales, les a remises en clair, les a classés et en a fait
un inventaire méthodique digne des grands archivistes.
Ce sont ces lettres que vous pouvez retrouver
aujourd'hui sur ce site.
Article Original : A. Chaffanjon
1967 - 2005
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