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La maison Tascher de la Pagerie
Le nom de Tascher de la Pagerie a reçu son plus grand éclat de l'Impératrice
Joséphine; par elle, on le trouve mêlé aux
plus glorieux souvenirs des temps modernes. Cependant à défaut de
cette illustration hors ligne, il peut en revendiquer une, moins
brillante sans doute, mais qui n'est pas sans avoir laissé dans le
passé des traces honorables.
Originaire de l'Ile-de-Françe et de l'Orléanais, la famille de Tascher
s'y montre de bonne heure parmi celles qui occupaient un certain rang dans la
province.
Nicolas Tascher souscrivit, comme témoin en 1157, un acte
émané de Manassès II de Garlande qui fut évêque d'Orléans de 1146 à
1186. Tout porte à croire qu'il était alors dans la première jeunesse, car
on le retrouve en 1226 sous l'épiscopat de Philippe I de
Joui faisant don aux religieux de Saint-Euverte d'Orléans de sept
arpents de terre sis dans la paroisse de Saint-Jean-le-Blanc. L'évêque scella
lui-même l'acte de donation. Une pareille libéralité prouve
que la famille de Nicolas de Tascher se trouvait dans une position de fortune
satisfaisante.
Pendant que Nicolas signalait ainsi sa piété, Renault et
Arnaud de Tascher, enrôlés sous la bannière de Thibaut, Comte de
Blois, donnaient en Palestine des preuves de leur valeur. Il fallait
que leur nom et leur fortune présentassent de bonnes garanties pour
que le Comte de Blois s'engagea, comme il le fit, pour Renault envers
Pierre Tavani et Gérauld de Cerdona, citoyens de Gênes qui lui avaient ouvert
leur bourse. L'emprunt de 220 marcs d'argent qu'il fit devant Saint-Jean d'Acre
en 1191, conjointement avec Robert Mesei,
Hébert de Carneville, Lambert de Lomée et Pierre de Villebeton, constate sans
difficulté sa présence dans les rangs des croisés. Parmi
les actes antérieurs à celui de 1157, on en trouve un relatif à la
famille de Tascher de l'année 1142 ou est mentionné Aimeric Tascher
faisant cession à l'Abbaye de Saint-Maixent d'un boisseau de blé. Il
y a tout lieu de croire que cet Aimeric était le frère ou un parent
de Nicolas.
La postérité de Nicolas fut perpétuée par Pierre Tascher
qui, en Décembre 1226, confirma avec sa soeur Elisabeth, sous les
yeux de l'évêque Philippe, la donation faite par le père aux religieux de Saint-Euverte.
Au commencement du XIVème. Siècle, Ferry Tascher, fils de
Pierre, participait aux libéralités royales. On le trouve mentionné
avec le titre de Chevalier sous la date du 4 Août 1409 dans un compte
intitulé: Journal du Trésor depuis le 13 décembre 1307 au 13 mai
1309; il y figure pour une allocation de 33 livres parisis. Au mois
d'Octobre 1309, Philippe le Bel, voulant plus particulièrement récompenser
les services éminents que lui avait rendus et que lui rendait
tous les jours le chevalier Ferry Tascher, lui concéda toute la haute
justice en la ville de Garges et territoire environnant, ainsi que plusieurs
rentes en espèces et en nature estimées à, 4 livres 10 sous
parisis. La concession n'était pas purement personnelle.
Le droit de haute et basse justice à Garges fut contesté à
Ferry par la veuve et les enfants de Pierre de Garges; mais, par sentence du prévôt de Paris, les prétentions de ces derniers furent mises à néant et Ferry put jouir légalement du droit dont l'avait gratifié la
munificence de son souverain.
Ferry était mort au plus tard en 1325 car, dès cette époque, on
voit figurer son fils Louis dans les divers actes qu'il fit avec l'Abbaye de
Saint-Denis, dont Garges dépendait. Il est probable
que Ferry partagea ses soins entre la gestion de ses biens patrimoniaux dans
l'Orléanais et celle des biens que lui avait donné Philippe le Bel. Son fila
aine, héritier en quelque sorte pour le tout, en fit de même. En 1333, il avait
déjà le titre d'écuyer et était nommé
Seigneur de Garges. Un acte du 6 Février 1339 mentionne sa femme,
mais sans dire son nom. En 1346, Louis est qualifié conseiller du
Roi. Il mourut au plus tard en 1348 car il est encore question de lui
dans un document de cette époque. Il laisse entre autres enfants
Renault ou Regnaud de Tascher auquel échut en partage la seigneurie
de Garges et Etienne de Tascher qui hérita les biens patrimoniaux de
l'Orléanais et pays adjacents. Le premier n'ayant laissé que des filles, la
postérité de Tascher tut continuée
par Etienne.
Etienne est mentionné dans un aveu du 14 Juillet 1405 et,
dans un acte postérieur, il parait avec le titre de Seigneur de Saint
Estol. Il eut pour fils Guillaume de Tascher, écuyer, marié avant
450 à Jeanne de Chaumont, fille de Michèle! (alias Mahiet) de Chaumont et de Catherine de Ronffaiz. Jeanne, qui était une héritière,
apporta de grands biens dans sa nouvelle famille entre autres le
Ronffaiz et Binneau dont Guillaume, son mari, est appelé seigneur dans des
actes de 1465 et 1466.
En 1467, le veuvage de Jeanne de Chaumont est constaté par une donation de plusieurs immeubles qu'elle fit à Imbert, son fils.
Jeanne ne vivait déjà plus en 1477 ainsi qu'il appert d'une donation
rentre vifs faite et consentie par ses fils en faveur de leur soeur,
Catherine Tascher, femme de Louis de Breteuil, écuyer. Les frères de Catherine sont nommés: Imbert. Jean et Gonin de Tascher. Mais ces quatre enfants ne constituaient pas uniquement la famille de Tascher;
les divers documents permettent d'établir qu'elle se composait de
cinq fils: Imbert. Jean. Pierre, Etienne, Gonin et deux filles: Catherine et Renée. les fils de Guillaume ont tous porté le titre d'écuyer. Les biens assez considérables que chacun retira de la succession paternelle peuvent faire admettre Guillaume Tascher au nombre
des riches gentilshommes du bailliage de Digny-en-Thimerais où son mariage avec Jeanne de Chaumont lui avait fait choisir une résidence
centrale.
Après avoir par des partages et différentes transactions
et contrats, dont le texte est venu jusqu'à nous, désintéressé ses
frères et soeurs dans la succession des père et mère, Imbert de Tascher porte seul le nom de Seigneur de Ronffaiz et s'occupa de conserver et d'agrandir les biens patrimoniaux. C'était un homme habile
et très rangé en affaires. Il existe un registre en papier qui n'est
autre chose qu'une espèce de journal où se trouvent enregistrés,
probablement de sa main, les achats, ventes, fermages, etc ... faits
par lui depuis 1469 jusqu'en 1480. Il avait épousé Jeanne Dubois qui
lui donna plusieurs fils, tous qualifiés d'écuyers, et une fille
nommée Roberte laquelle fut mariée à Etienne Racine, Seigneur du
Coudray et de Fort-Girard, un des cent gentilshommes de l'Hôtel du Roi.
Jean, l'aîné de la famille, continua la postérité. Charles.
son fils, était marié dès avant 1540 à Isabeau des Loges ainsi qu'il
appert d'un acte de cette époque dans lequel le dit Charles parait
comme gardien légitime de Jacques de Tascher. son fils. Il faisait
sa demeure habituelle en la Forêt de Lange, paroisse de Notre-Dame
de Beaussey. En 1545, on le trouve avec le titre de Seigneur de Malassise.
Son fils Jacques n'était pas encore majeur en 1547. Il est
fait mention dans divers actes du temps de Baptiste Tascher, mineur
en 1561 et de Vincent Tascher. le premier qui ait porté le titre de
Seigneur de La Pagerie. Il est probable que son père Charles avait
fait l'acquisition de cette seigneurie ou l'avait obtenue par droits
successifs du côté des femmes. Quoiqu'il en soit, le nom de La Pagerie, destiné à une grande illustration, était déjà porté par Vincent
au plus tard en 1570. Vincent résidait habituellement aux Bourdinières sur la paroisse de Boisseleau. En 1571, il fit avec son frère
Vincent, le jeune, le partage de la succession de leur père Charles
Tascher. Cet acte peut servir à déterminer à peu près la mort de ce dernier.
Le 9 billet 1565, notre Vincent qui avait alors le titre
d'écuyer, épousa Louise de Racine, fille de Claude de Racine, Seigneur de Fort-Girard,
et de Françoise de Campo-Basso. En 1585, il était enrôlé déjà dans une compagnie
de 50 lances sous la charge de Monseigneur de Savoie dont il obtint le 17 Juillet
de la dite année
un certificat de service. Son loyal dévouement lui valut dans ces
temps désastreux la protection particulière du Seigneur de Puisaie,
capitaine de 50 chevaux légers, gouverneur de Meung, comme on peut en
juger par les lettres de sauvegarde que cet officier lui accorda
pour lui, sa femme et ses biens le 7 Novembre 1593. Des motifs de
même nature déterminèrent le Seigneur de La Châtre, maréchal de France, gouverneur
des Duchés d'Orléans et de Berry, a lui expédier le
23 Janvier 1594 des lettres portant défense aux gens de guerre de
loger ou fourrager sur les terres de Saint-Mandé, appartenant au Seigneur de
La Pagerie.
Vincent ne vivait plus en 1594. Il avait laissé après lui
la réputation d'un brave soldat ayant toujours prêté à l'autorité un
concours efficace dont la noblesse d'alors se faisait un titre de
gloire. A cette époque, sa descendance noble était suffisamment établie pour que sa veuve et son fils Isaac fussent exemptés par cette
raison de toute espèce de tailles en la généralité d'Orléans. Outre
Isaac, Vincent laissait un autre fils nommé Marin. Ayant embrassé la
carrière des armes, Marin servait dans la compagnie du Seigneur de
Villegomblain lorsqu'il fut tué dans une charge brillante faite sur
les Espagnols près du Catelet. Ce glorieux trépas obtint sa récompense et, en 1596, Henri IV accorda des lettres d'exemption de contributions de guerre à la veuve et aux enfants de Marin. Du reste,
une série de titres authentiques qu'il serait trop long d'énumérer
ici prouve que les Tascher prirent part comme militaires aux funestes
guerres qui ensanglantèrent la France dans la seconde moitié du XVI° siècle.
Revenons à Isaac Tascher. Seigneur de La Pagerie. Il épousa
le 15 Avril 1595 Louise de Phélines. De bonne heure adonné au métier
des armes, il servit avec distinction, ainsi que le constate un certificat de
Monsieur de Lavardin, maréchal de France, qui déclare qu'Isaac, homme d'arme
de la compagnie des ordonnances du Roi, a passé
en cette qualité la revue en armes près de La Ferté-Milon, en 1610. Quatre ans
plus
tard, Isaac obtint encore un certificat de service du
Duc de Montmorency. 11 était mort au plus tard en 1617 laissant un
fils unique, nommé Pierre, alors âgé de 18 ans.
Pierre Tascher. écuyer, Seigneur de La Pagerie. fixe sa
résidence dans le Blésois, à Saint-Mandé-de-la-Coudraye, paroisse du
Il s'unit en 1619 à Jeanne de Ronsard, fille puinée et héritière en partie de feu Messire Gilles de Ronsard, chevalier, Seigneur
de Glatigny, et de Demoiselle de Taillevis. De ce mariage, naquit en
1620 François, tenu sur les fonds baptismaux par noble et scientifique personne Messire Martin de Racine, écuyer, abbé des abbayes de la
Vernusse et de Citeaux, et dame Hélène de Persil, épouse de Jean de
Ronsard, chevalier, Seigneur de Glatigny. La grand-mère du nouveau-né
Louise de Phélines, fit un testament en 1623 et mourut sans doute peu de temps après.
François Tascher suivit la carrière de ses ancêtres. Son
nom et ses services personnels ne tardèrent pas à lui faciliter l’obtention des degrés supérieurs dans la hiérarchie militaire. A peine
âge de 27 ans, il avait le grade d'aide-major et lieutenant du régiment de Marmoutier, ainsi qu'il appert d'une convention matrimoniale
passée entre lui, François, et Marie-Pétronilie d'Arnoult, fille du
Seigneur de Malchem près de Bergues-Saint-Vinox, en Flandre. Bientôt
après, le mariage fut consommé et en 1650 les deux époux se donnaient
mutuellement ce qu'ils pouvaient posséder en propre.
François savait employer en vrai gentilhomme ses loisirs
que lui laissait la profession des armes. L'église du hameau de
Saint-Mandé tombait en ruine; elle contenait les dépouilles mortelles
de Vincent, Isaac et Pierre Tascher; cette circonstance, jointe aux
embarras qui naissaient pour les paroissiens du mauvais état de leur
église détermina François à entreprendre la restauration du lieu
saint: ce qu'il fit en 1662. Du reste, ses qualités personnelles a
valent su le rendre cher à tous. En 1664, Jean-le-Long, curé de
Saint-Mandé, le nomma son exécuteur testamentaire et lui légua lereste de sa fortune après le paiement des legs. Un Daniel Segrettain
le chargea de la curatelle de ses enfants mineurs dont François défendit les droits en justice contre leur oncle Abraham Segrettain. En 1667, il fit ses preuves de noblesse par devant Monsieur
de Marchault, chevalier, conseiller du Roi et son commissaire de parti
pour la vérification des titres de noblesse en la généralité d'Orléans. En 1671, il lui vint un fils qui reçut au baptême le nom de Gaspard. Son parrain fut Gaspard de Lévi; sa marraine, Demoiselle Marie de Torchard.
La réputation de François comme loyal et bon gentilhomme
et brave militaire était de bonne heure parfaitement établie. Ses
qualités, au point de vue des relations civiles, marchaient de pair
avec ses vertus guerrières. Ce mélange d'aptitudes diverses, d'autant
plus heureux qu'il est plus rare, détermina en 1674 le Marquis d'
Alluye, lieutenant-général du Roi, à choisir François Tascher pour
commander les gentilshommes du bailliage de Blois. Plusieurs actes
de cette époque nous montrent le commandant dans l'exercice de ses
fonctions; et, en cette qualité, il reçoit un certificat de service du Maréchal de Turenne.
François devait recueillir au déclin de sa vie les fruits
de son dévouement à la patrie. Un titre particulier allait désormais
le rapprocher de la personne du Roi, en l'attachant à un corps spécial exclusivement composé de gentilshommes fidèles et surs au nombre
de deux-cents. En 1677, en effet, il faisait déjà partie des deux-cents chevau-légers de la garde ordinaire du Roi; et, en 1683 il reçevait comme tel deux cartificats de service: l'un du Comte de la Mothe-Houdancourt, premier sous-lieutenant; l'autre, du Marquis de
Humières, maréchal de France, capitaine de la compagnie des chevau-légers.
François vivait encore en 1690; sa femme était morte alors.
Le 6 Février de cette année, il eut le bonheur de présider au mariage
civil et religieux de son fils Gaspard avec Aimée-Henriette-Madeleine
du Plessis de Savonnières, fille de feu Messire Henri du Plessis de
Savonnieres, chevalier, et de Dame Agathe de Thienne. L'acte lui
donne ainsi qu'à son fils le titre de chevalier. François termina
bientôt après sa carrière si bien remplie, laissant à ses descendants
l’exemple de toutes les vertus civiles et militaires capables de recommander un homme au souvenir de ses concitoyens.
Il eut pour frères Jean de Tascher. Écuyer, lieutenant de
cavalerie, et Jacques de Tascher, écuyer, lieutenant dans le Régiment
de Noirmoutier: tous deux morts au service de leur Roi; l'un à Turin, et l’autre à Bergues.
La vie du Chevalier Gaspard Tascher semble s'être passée
dans le calme et la tranquillité, embellie des paisibles jouissances
du foyer paternel. Veuf une première fois, il épousa en 1712 Demoiselle Anne-Marguerite Bodin de Boisrenard qui lui donna entr'autres enfants Marie-Stanislas de Tascher, abbé et Comte d’Abbeville, Anne et Madeleine reçues à Saint-Cyr sur leurs preuves de noblesse: la première, le 31 Mars 1721; la seconde, le 30 Août 1734.
En 1705, Gaspard avait eu un premier fils auquel son parrain, Louis de Thisard, chevalier, Seigneur du Coudray, et sa marraine, Louise Davoust, imposèrent les noms de Gaspard-Joseph. Entraîné
par l'esprit aventureux qui guidait vers les Iles une grande partie
de la noblesse française, Gaspard-Joseph abandonna le manoir de ses
pères pour courir après les hasards des combats et de la fortune. Il
s'arrêta à la Martinique où, par lui, devait prendre racine cette
branche désormais illustre qui produisit l'Impératrice Joséphine.
Les émigrants français avaient apporté dans les Iles les
traditions nobiliaires de leurs aïeux. Ce serait donc se tromper que
de croire gratuitement à des mariages basés par nos gentilshommes
non plus sur les considérations de sang et de race mais bien sur des
spéculations qui étouffaient la voix de leur orgueil; et il faut dire que si la règle fut violée quelquefois, les Tascher du moins mi-
rent tous leurs soins à la suivre ponctuellement.
Gaspard-Joseph épousa le 16 Août 1734 Marie-Françoise
Bourreau de la Chevalerie, née le 2 Avril 1709 sur la paroisse de
Saint-Jacques du Carbet (Martinique) de François Bourreau, écuyer,
Seigneur de la Chevalerie, lieutenant de milice, et de Marie de
Jaham; de ce mariage vint d'abord Joseph-Gaspard, baptise le 16
Juillet 1735 dans l'église de Saint-Jacques du Carbet. Il fut tenu
sur les fonds baptismaux par Messire Charles-François de la Touche-Beauregard et Madame de Saisset; en second lieu, Marguerite-Robert
de Tascher, baptisé le 13 Juin 1740 dans l'église de Sainte-Marie,
lequel eut pour parrain Monsieur Courpon, écuyer, Seigneur de la Vernade, et pour marraine Marguerite Laguarrigue, veuve du Seigneur Jean Jaham de Fontaine, ancien lieutenant-colonel; en troisième lieu,
Françoise-Rosé, baptisée le 24 Avril 1746 dans l'église de Saint-Pierre; le parrain fut Jacques-François Le Merle, Seigneur de Beaufond, capitaine de milice et la marraine Françoise-Rosé, épouse de
Louis Jaham de Genneville, capitaine de milice du Carbet. Les noms
de Jaham, Courpon, Latouche-Beauregard, etc ... indiquent suffisamment que les Tascher comptaient au nombre de leurs amis et même de
leurs alliés les gens les plus recommandables de la martinique. Du
reste, leurs titres de noblesse qui avaient déjà reçu la sanction
royale en France étaient solennellement reconnus par arrêt du conseil
supérieur de la Martinique rendu le 4 Novembre 1748.
Joseph-Gaspard avait tout au plus vingt-cinq ans lorsqu'il
se maria le 8 Novembre 1761 avec Rosé des Vergers de Sannois qui,
issue d'une des plus nobles familles de la Martinique, était juste
de son âge. Rosé avait pour père Joseph-François des Vergers, écuyer,
Seigneur de Sannois, et pour mère Marie-Catherine Brownn. Elle avait
été baptisée le 13 Novembre à l'église Notre-Dame-de-la-Purification
des Trois-Ilets, ayant pour parrain Robert Giraud, écuyer, Seigneur
d'Orson, et pour marraine, mademoiselle de Gallon.
Lors de son mariage, Joseph-Gaspard avait déjà le titre de
chevalier; ayant embrassé la profession des armes, il servit dans l’artillerie et, en 1767, il avait le grade de lieutenant dans ce
corps ainsi que le prouve l'acte de baptême de sa fille Marie-Françoise laquelle fut tenue sur les fonds dans l'église Notre-Dame de la Purification des Trois-Ilets par Monsieur Jean-François
des Vergers, chevalier, Seigneur de Sannois, et par Marie-Paule de la Pagerie-Dugué.
Robert-Marguerite,frère de Joseph-Gaspard, était à 30 ans
enseigne de vaisseau et commandant les ports du Roi à la Martinique.
II épousa le 26 Juin 1770 Louise Leroux de Chapelle, née le 8 janvier
1754 de Monsieur Leroux de Chapelle, ancien capitaine de grenadiers,
et de Dame Jeanne-Eulalie Papin-Dupont. Jeanne-Eulalie avait été
baptisée le20 Janvier de la même année dans l'église de Notre-Dame
du Bon Port du mouillage de Saint-Pierre (Martinique) et avait eu
pour parrain Monsieur Jean-Jacques Leroux de Chapelle, major de milice de la Grande-Terre, et pour marraine Marie-Louise Papin-Dupont,
épouse de Monsieur Nicolas Soudon ancien officier de milice. La
famille de Chapelle était une des plus nobles et des plus considérées
de l'Ile. Jean de Chapelle, né en 1646, mort en 1684, avait épousé
Madeleine d'Orange, fille de Guillaume d'Orange, homme si considérable dans la colonie par ses services et sa naissance que le Roi lui
accorda entr'autres privilèges peur lui et ses descendants, le droit
de porter pavillon blanc sur les canots et bâtiments de mer où il se
trouverait: droit dont ils jouissaient encore en 1787. Guillaume versa toujours généreusement son sang pour la France et fut tué en défendant la citadelle de Fort-Royal contre l'amiral hollandais de Ruyter. Sa fille Madeleine ne se montra pas moins digne de sa haute et
noble extraction. Elle avait voulu partager tous les dangers que courait son mari Jean de Chapelle et, tout en suivant l'impulsion de son noble coeur d'épouse, elle légua à la postérité l'exemple du plus pur|
patriotisme:. Madeleine fut mère de Jean-Baptiste Leroux de Chapelle,
commandant du quartier du Vauclin et de Jacques Leroux de Sainte-Croix. Le premier épousa le 11 Janvier 1700 Marie-Roland des Vaux,
fille de Guillaume des Vaux, Seigneur du Sedan, et d'Anne de Jaham,
fille du Seigneur de Vertipré. Ils eurent pour fils Louis-Lambert
Leroux de Chapelle, chevalier de Saint-Louis et lieutenant-colonel
du bataillon du Vauclin dont la femme fut Jeanne-Eulalie Papin-
Dupont: ce sont le beau-père et la belle-mère de Robert-Marguerite de Tascher.
Si la famille d'Orange a laissé de glorieux souvenirs,
celle de Papin-Dupont ne manque pas de lustre et les Chapelle ont
eu de part et d'autre de nobles exemples à imiter en remontant la chaîne de leurs ancêtres.
Originaire d'Henné bon, en Bretagne, Claude Papin-Dupont
quitta de bonne heure son pays et s'établit à la Martinique en 1635,
c'est-à-dire environ 10 ans après la fondation delà colonie par Monsieur Diel du Parquet, Marquis d'Enambuc dont Claude ne tarda pas à
devenir un des lieutenants les plus distingués. Claude épousa Marie
d'Orange, soeur de la célèbre Madeleine et eut d'elle Jean-Baptiste
Dupont qui, ainsi que son père, se distingua par ses vertus militaires. Ce valeureux officier épousa Marie Leroux de Chapelle. Il mourut
en 1713, commandant du quartier du t;amentin. Sa femme l'avait precédé de 10 ans dans la tombe, ^eur fils Jean-François Papin-Dupont,
major du régiment de la Touche, épousa Camille Descamps, originaire
du Roussillon, fille de Gibert Descamps, passé à la Martinique en
1705, fils de François Vitalis-Descamps, anobli le 15 Avril 1585 par
Philippe II, Roi d'Espagne. De ce mariage, vint un fils, Jean-Baptiste et une fille Jeanne-Eulalie qui fut mariée à Louis-Lambert Leroux de Chapelle.
Ainsi l'alliance de Robert-Marguerite était tout-à-fait
dans les traditions nobiliaires. Les services personnels de celui
qui représentait à la Martinique la famille de ïascher ne firent que
rehausser l'éclat de son nom. A l'époque de son mariage, nous l’avons
vu enseigne de vaisseau et commandant les ports du Roi a la Martinique. Son courage et sa naissance lui avaient également frayé le chemin de l'avancement. Il n'avait que 14 ans lorsqu'il fut admis au
nombre des pages de Madame la Dauphine dont faisait aussi partie son
frère aîné Gaspard-Joseph. A 16 ans, il entrait guide de marine a
Rochefort. Ce genre de service, conforme à son inclination, le mit
plusieurs fois sur le théâtre de la guerre où il sut se rendre recommandable pour ses connaissances, son intrépidité et son sang-froid.
En 1756, notamment, il revenait de la Martinique en France sur la frégate La Bellone, sous les ordres de Monsieur de Beauharnais. Attaquée par deux navires anglais, la frégate soutint un combat sanglant
dans lequel le jeune Robert, ayant eu le poignet gauche cassé par une
balle, le crâne fracassé par une mitraille, fut laissé pour mort dans
la cale où il resta trois jours au bout desquels les Anglais, vainqueurs, lui administrèrent les secours que réclamait son état. Sa
convalescence fut longue et il reste depuis tout-à-fait sourd de l’oreille gauche. Lorsque les circonstances le lui permirent, il reprit
la mer et se signala par des traits de courage qui lui valurent la
croix de Saint-Louis. Se trouvant à la Martinique, et la place du
capitaine de port de la ville de Fort-Royal étant vacante, il fut
prié, tant par le gouverneur général de la colonie que par le lieutenant général des forces navales de S.M., de prendre cet emploi. Le
choix que ces officiers généraux faisaient dans cette circonstance
se trouva justifié par les rares connaissance et l'activité de celui
qui en avait été l'objet. Grâce à ses soins, à sa capacité et a sa
prévoyance, les magasins de la marine du Fort-Royal furent, pendant
le guerre de 1778, munis et approvisionnés complètement. Sa belle
conduite lui mérita les éloges les plus distingués et le Comte de
Grasse, lieutenant-général des forces navales de S.M., de concert
avec le Comte de Bouille, gouverneur général de la colonie, demanda
pour lui au Ministre de la Marine le brevet de directeur des ports
et arsenaux du FortéRoyal de l'Ile Martinique, comme une récompense
des services signalés qu'il avait rendus à l'état.
Lorsqu'éclata la Révolution, le chevalier de Tascher fut
nommé maire de Fort-Royal, bes passions populaires rendirent sa mission difficile et périlleuse. Marchant sur les traces de la métropole et fatalement entraînés dans la voie de discorde, la colonie avait
ses différents partis. L'un d'eux s'était emparé du Fort-Bourbon; le
chevalier de Tascher en sa qualité de maire fut engagé à se rendre auprès des séditieux afin de leur faire déposer les armes et de les
ramener à la paix, à l'union et au respect des lois. Il se disposait
a s’y rendre seul comptant suffisamment sur son coeur pour opérer
la réconciliation, lorsque les citoyens de Fort-Royal réunis en masse s'opposèrent à son projet en criant: "Vous êtes notre père; vous
n'irez point sans nous! Ils s'obstinèrent à le suivre sans arme.
A peine rentrés dans la citadelle, ils virent se relever sur eux le
pont-levis qui leur avait servi de passage; de terribles vociférations se firent entendre; on s'empare de la personne du maire; sa mort
ne tarde pas à être résolue et on n'hésitait que sur le genre de
supplice. Impassible au milieu de ce tumulte effroyable, de ces voix
horribles qui demandent sa tête, le maire montrait en ce moment le
même sang-froid et la même énergie morale dont il avait tant de fois
donné l'exemple et qui sont le propre d'un vrai militaire accoutumé
à taire le sacrifice de son existence. Tout à coup, des voix énergiques dominant les cris des révolutionnaires se font entendre: "Hachez nous par morceaux; massacrez nous avant de le toucher; c'est :
notre père; c'est lui depuis longtemps nous fait vivre; c'est à lui
que nous devons ce que nous avons, ce que nous possédons!" C'était
la foule de ses administrés qui lui avait servi d'escorte et qui s'exprimait ainsi. Cette courageuse protestation ne fut pas sans effet
et le peuple, avec la dangereuse mobilité qui le caractérise, ne tarda pas à passer de la cruauté à l'affection. Chacun voulait embrasser
le maire de Fort-Royal et il fut prié de prendre le commandement du
Fort-Bourbon. Peu jaloux de ces honneurs que l'on doit à la licence
et au délire, il s'y refusa, en représentant l'incompatibilité de ses ;
fonctions de maire de Fort-Royal avec celles de commandant d'un fort;
mais il ne put réussir à convaincre cette foule tumultueuse qui prétendit que le maire de Fort-Royal devait résider au Fort-Bourbon. Il
fut contraint d'y séjourner et n'en sortit que pour la reddition qui
en fut faite aux Anglais après 45 jours de siège et de bombardement.
Ici se placent dans la vie de Robert-Marguerite de Tascher
les premières conséquences de l'union de sa nièce, fille de Gaspard
de Tascher, avec le jeune et brillant officier qui préludait par le
siège de Toulon à ces exploits gigantesques sans exempte dans l'histoire du passé. Robert porta la peine de la gloire de son neveu. Les Anglais, vainqueurs, ne lui épargnèrent pas les tracasseries et les déboires; accusé auprès des chefs, il reçut l'ordre de ne point paraître sur son habitation et dans son quartier. Soumis pendant 4 ans
à ce cruel état de rigueur et malgré les pertes considérables que
lui fit éprouver ce défaut de surveillance sur sa propriété, son
coeur noble et généreux oublia ses délateurs et quand vint le jour
où une vengeance facile s'offrait a lui, il ne connut et ne pratiqua que le pardon et la bienfaisance.
De retour en France, il n'avait qu'à demander des honneurs
pour les avoir; mais les idées de grandeur, assez justifiées par sa
position, ne purent le faire renoncer à ses goûts simples et modestes
qui avaient fait le bonheur de sa vie. L'orgueil ne parvint jamais à
se glisser dans son âme. Son plus grand bonheur, sa plus vive satisfaction étaient dans le plaisir de faire du bien; jamais aucun malheureux, aucun indigent, sous la livrée même de la misère, ne fut
rebuté par lui. Il mourut Commandeur de la Légion d'Honneur au mois
de Mars 1806, regretté de tous ceux qui l'avaient connu.
Le conseil punicipal de Rueil, ayant sollicité et obtenu
de l'Empereur que les caveaux de l'église de ce lieu fussent destinés à la sépulture de la famille de l'Impératrice Joséphine, le
corps de Robert-Marguerite y fut inhumé, après que le fameux Corvisart en eut fait l'autopsie. Un éloge funèbre fut prononcé en son honneur.
Le 26 Juin 1770, ainsi que nous l'avons dit précédemment,
Robert-Marguerite avait épousé Jeanne-Louise Leroux de Chapelle. Il
en eut entr'autres enfants: une fille nommée Marie-Louise-Marguerite ;
née le 24 Mars 1771, baptisée le 20 Juillet de la même année dans l’église de Saint-Jean-Baptiste du Vauclin (Martinique). Elle eut pour
parrain Monsieur Louis-Lambert Leroux de Chapelle, écuyer, major du
bataillon du Vauclin, et pour marraine, Marie-Françoise Boureau de
la Chevalerie, sa grand-mère paternelle; un fils nommé Louis-Robert,
né le 28 Octobre 1775, baptisé dans la même église que sa soeur et
tenu sur les fonds baptismaux par Monsieur Jean-Louis Leroux de Chapelle et par Marie-Euphémie-Désirée Tascher de la Pagerie, épouse
Renaudin; une fille, Anne-Calixte, née le 5 Mars 1778, baptisée comme les deux autres et tenue sur les fonds par Monsieur Robert-Gaspard
de Tascher, et par Madame Calixte Gagneron des Vallons, femme de Monsieur Papin de l'Epine; un fils Pierre-Claude-Louis-Robert, né le 1
Avril 1787, baptisé dans l'église de Saint-Louis du Fort-Royal: son
parrain fut Pierre-Claude, Marquis Duquesne, et sa marraine Marie-Louise-Marguerite de Tascher, sa soeur. Disons en passant que cette
dernière se maria en 1791 avec Louis-Germain du Tremblier de Chavigny, lieutenant de vaisseau, né à Angers de Gabriel du Tremblier de
Chauvigny et de Dame Gérard Guillemet de Kergouet.
Pierre-Claude-Louis-Robert de Tascher de la Pagerie, grand-maître de la Maison de S.M. l'Impératrice, reçut le 8 Ventôse an XIII
(27 Février 1805) son brevet d'admission à l'Ecole Spéciale Impériale
Militaire. En Avril 1806, il fut nommé sous-lieutenant au 4ème. Régiment d'Infanterie de Ligne; le 23 Mai 1807, officier d'ordonnance de
l'Empereur; le 13 Octobre de la même année, aide de camp du Général
Junot; le 27 des dits mois et an, lieutenant et officier d'ordonnance
de l'Empereur; le 11 Juillet 1807, il reçut la croix de Chevalier de
la Légion d'Honneur; le 10 Juin 1809, il fut nommé capitaine et attaché comme aide de camp à S.A.I. le Vice-Roi d'Italie; le 9 juillet
de la même année, il fut promus au grade de chef d'escadron; le 11
août suivant, il fut admis au rang de chevalier de la Couronne de Fer
d'Italie.
Pierre-Claude-Louis-Robert de ïascher de la Pagerie fit
toutes les campagnes jusqu'en 1814 avec le titre de chef d'état-major
des dépôts d'infanterie de l'Armée d'Italie. Il avait épousé en 1810
la Princesse Amélie de la Leyen, fille d'un prince souverain de la
Confédération du Rhin, lorsqu'il fut nommé gouverneur de Francfort.
Il dut, dans le même temps, suivre l'Empereur Napoléon dans la Campagne de Russie en 1812. Il y prit part au combat d'Ostrowno, aux batailles
de la Moskova et de Maloïarolawetz. Un an plus tard, il cornbattait en Illyrie et se distinguait à la bataille de Mincio, la dernière de la Campagne d'Italie à laquelle il assista. Chargé d'apprendre le succès de cette journée à l'Empereur et de lui faire connaître
la véritable situation de l'Italie, il rapporta au Prince Eugène l’ordre verbal de défendre l'Italie pied à pied jusqu'à la dernière extrêmité.
Comme aide de camp du Prince Eugène, il se trouvait au combat
de Mormant, dans la Campagne de France, et couronnait sa carrière
militaire en combattant vaillamment aux côtés de l'Empereur. L'invasion venue, le Comte Tascher de la Pagerie suivit dans l'exil son
cousin, le Prince Eugène, auquel il devait fermer les yeux en 1824.
En 1818, pour des raisons faciles à comprendre, le Comte donna définitivement sa démission du grade de colonel au service de France et
fut autorisé à prendre du service à la cour du Roi de Bavière. Charles XIV le créa chevalier de l'Ordre de l'Epée le 29 Juin 1823; puis
après, commandeur et grand-croix du même ordre lorsqu'il eut l'honneur, en qualité de commissaire extraordinaire, de conduire la Princesse de Leuchtenberg, devenue Reine de Suède, à son époux, le Prince Royal de Suède.
Le 30 Novembre 1836, le Roi Louis de Bavière nomma le Comte
Tascher de la Pagerie général-major, qui équivaut au grade de général
de brigade. Vers ce temps, une perte douloureuse vint frapper la famille des illustres exilés: la Reine Hortense mourut et son cousin,
le Comte Louis Tascher de la Pagerie, eut la pieuse mission de ramener sa dépouille mortelle en France pour la réunir à celle de sa mère, l'Impératrice Joséphine, dans les caveaux de l'église de Rueil;
puis, il retourna dans l'exil où depuis quinze ans il vivait dans le
calme et le repos. La Révolution de Février et l'élection présidentielle lui ouvrirent de nouveau les portes de la France.
Nommé commandeur de la Légion d'Honneur par le Président
de la République, le 12 Février 1851, élevé au grade de grand-officier de la Légion d'Honneur le 21 Juin 1852 et à la dignité de sénateur le 31 décembre suivant, le Comte Tascher de la Pagerie eu l’honneur de recevoir le 27 Janvier 1853, de l'Empereur Napoléon III,
des lettres closes qui le convoquaient à son mariage et à signer l’acte; puis, il fut créé grand-maître de la Maison de l'Impératrice.
II fut élevé au grade de grand-croix de la Légion d'Honneur
en 1856 et mourut aux Tuileries en 1861 à l'âge de 73 ans.
Son neveu, le Baron Emile Tascher de la Pagerie, lieutenant
colonel, est également officier de la Légion d'Honneur.
par le Duc de Tascher de la Pagerie
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